Initiative de recherche sur les coopérations écosystèmiques des entreprises au service de la transition écologique

Article
October
2022
En bref
Certaines entreprises sont bloquées dans la réduction de leurs émissions carbone significatives car celles-ci sortent de leur contrôle direct. En effet, certaines sources d'émissions dépendent intimement de plusieurs acteurs et seules des logiques de coopération peuvent permettre de lever les blocages. Ce sujet, pourtant essentiel pour la décarbonation de l'économie, est aujourd'hui sous-documenté. C'est pourquoi nous lançons cette initiative, pour identifier, analyser et diffuser des exemples d’actions écosystémiques.

L’entreprise, à la fois autonome et dépendante des autres

Une entreprise est à la fois une unité organisationnelle autonome et le maillon d’une chaîne de valeur spécifique, qui comprend aussi des fournisseurs, des clients et des concurrents.

Cette chaîne de valeur est elle-même inscrite dans une dimension collective plus large, qui la relie à un territoire, à des réglementations, à l’opinion publique.

Un niveau de contrôle variable selon les sources d’émission

Lorsque l’on cherche à estimer l’empreinte carbone d’une entreprise, la première étape consiste à cartographier les flux, c’est-à-dire lister tous les flux dont l’entreprise est responsable et dépendante.

Prenons l’exemple d’une boulangerie : elle achète ses matières premières (farine, chocolat, sucre), ses artisans doivent se rendre au fournil (voiture, transports en commun, vélo), elle livre son pain aux restaurateurs locaux via un prestataire de transport, etc.

Ensuite, il convient de caractériser les flux en fonction du niveau de contrôle que l’entreprise peut exercer. Dans le cas des déplacements domicile travail par exemple, le contrôle de l’entreprise est intermédiaire. Elle dispose de leviers non négligeables pour inciter à la mobilité douce ou au covoiturage, mais le choix du mode de transport dépend aussi de l’offre disponible sur le territoire et in fine du libre arbitre du salarié.

Les flux d’une entreprise sont ainsi tous imbriqués, à des degrés divers, dans un écosystème d’acteurs et de réglementations.

Agir seul n’est souvent pas suffisant

Une entreprise qui souhaite réduire ses émissions de gaz à effet de serre dispose de deux périmètres d'action :

1. Ses opérations, sur lesquelles elle a un contrôle fort.

Nous parlons ici des sources d’émissions dites de “scope 1 et 2” (ex : gaz pour chauffer un bâtiment, carburant des véhicules de fonctions) mais aussi d’autres sources d’émission, dites de “scope 3”, directement liées à son fonctionnement (ex : les déplacements professionnels de ses collaborateurs). L’entreprise peut réussir, seule, à réduire significativement ces sources d'émissions.

2. Sa chaîne de valeur, en amont et en aval de son activité.

Par exemple ses achats de matières, le transport de ses marchandises, etc. Ici, l’entreprise n’est pas seule maître à bord et dans certains cas, elle n’est pas maître du tout. Pour réduire significativement ces émissions, l’entreprise doit agir en coopération avec d’autres acteurs de son écosystème. Ce n’est pas simple… et pourtant, c’est souvent là que se situe une majorité des émissions.

Les blocages pour un fabricant de pièces en acier

Prenons l’exemple d’un fabricant qui a une activité d’usinage de pièces en acier. Ses achats d’acier représentent 70% de son empreinte carbone. Il a très peu de contrôle dessus, car :

1. Ses clients imposent des critères précis sur les alliages d’acier à utiliser dans le cahier des charges.

2. Ses fournisseurs, des aciéristes, ne proposent pas ou peu d’options bas-carbone pour les alliages d’acier.

3. Si des options bas carbone existent, un surcoût important est associé. Or, le client maintient une pression sur les prix de sorte que l’entreprise ne peut pas répercuter ce surcoût.

Que peut donc faire cette entreprise pour réduire l’empreinte de ses achats d’acier ?

1. Abandonner certains clients. C’est parfois une bonne option, mais un peu moins si cela met en danger sa pérennité (et donc, ses moyens d’action pour la transition), et qu’un concurrent moins scrupuleux reprend le marché.

2. Travailler avec sa filière. Communiquer sur les enjeux et la problématique rencontrée, engager ses fournisseurs, ses concurrents et ses clients dans une démarche commune, tester à petite échelle de nouveaux procédés, plaider auprès des pouvoirs publics pour se faire aider… il y a un monde d’actions possibles.

Trois exemples d’entreprises ayant réussi à avancer

Tactique 1 : coopérer avec ses fournisseurs

L’entreprise Le Petit Ballon distribue des bouteilles de vin via une plateforme e-commerce et quelques boutiques. Ses principales émissions concernent les bouteilles de vin qu’elle achète, et leur distribution du vigneron jusqu’au client final. En étudiant ses leviers, l’entreprise s’est aperçue qu’il y avait beaucoup de choses à faire au niveau des pratiques viticoles.

En effet, celles-ci peuvent générer plus ou moins d’émissions (ex : utilisation de machines agricoles thermiques ou non, utilisation de plus ou moins d’engrais) mais aussi capter plus ou moins de CO2 dans la terre cultivée. L’entreprise est un distributeur et ne produit pas de vin elle-même. Pour agir sur les émissions de sa chaîne de valeur, elle a donc constitué un collectif de vignerons et organisé des groupes de travail en partenariat avec l’association Pour une agriculture du vivant, qui forme les agriculteurs aux pratiques régénératives.

Tactique 2 : coopérer avec les autres clients de son fournisseur

L’entreprise Picture conçoit et commercialise des vêtements action-outdoor (ski, snowboard, surf, lifestyle). L’entreprise sous-traite la fabrication des vêtements, qui est réalisée sur plusieurs sites, principalement en Turquie et à Taiwan. Les étapes liées à la fabrication (notamment filature, tissage, teinture) sont particulièrement énergivores et émettrices car les sites de production se situent dans des pays où l’électricité est plutôt carbonée. Un levier de réduction évident consiste donc à installer des capacités de production d’électricité renouvelable sur les sites de production. Néanmoins, comment mettre en place ce projet, qui nécessite de l’investissement, auprès de ces sites industriels ? Picture a identifié avoir des partenaires industriels en commun avec d’autres marques de l’industrie textile et a lancé des discussions. Depuis, chaque marque cofinance (à hauteur de son % d'affaire dans l'usine en question) un audit énergétique pour identifier les leviers clés de décarbonation, puis la mise en place des actions recommandées. Il peut s'agir de mieux isoler l'usine, électrifier un process de création de chaleur, ou installer des panneaux solaires sur le toit pour être moins dépendant du mix national.

Tactique 3 : créer une coalition avec ses concurrents pour demander plus de réglementations

L’entreprise Loom conçoit et commercialise des vêtements. Le constat de Julia Faure, sa dirigeante, est clair : malgré l’essor de marques qui limitent l’impact environnemental de leurs productions, les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la mode ne baissent pas. En cause, une réglementation environnementale aujourd’hui trop peu contraignante sur les acteurs du textile, notamment les grandes enseignes, qui ont un avantage économique à produire beaucoup, de piètre qualité et dans des produits où l’électricité est très carbonée. C’est ce qu’elle appelle “la prime au vice”.

Face à ce constat, Loom et d’autres entreprises du textile se sont rassemblées pour fonder l’association En mode climat dont la mission est d’utiliser leur pouvoir d’influence pour pousser des lois plus contraignantes sur le secteur : lutte contre la surproduction, relocalisation de la fabrication et recyclage des matériaux. En cherchant à changer les règles du jeu pour leur secteur, l’objectif du plaidoyer est de revaloriser les efforts de décarbonation et ainsi d’en lever les freins financiers. Aujourd’hui forte de plus de 500 membres qui ont signé la charte du collectif, En mode climat participe à créer un écosystème soudé de marques qui ont une voix dans les évolutions législatives (ex : dans la définition du cahier des charges de la filière Responsabilité élargie des producteurs).

Nous allons identifier, analyser et diffuser des exemples d’actions écosystémiques

Au-delà de ces quelques exemples, l’état de l’art concernant les actions écosystémiques reste encore très limité.

Alors (énorme enjeu de décarbonation) x (trop peu d’exemples inspirants documentés) = notre nouveau sujet d’étude chez Magelan.

Notre objectif n’est pas de réinventer la roue, mais plutôt d’identifier, analyser et partager des tactiques qui fonctionnent, des études de cas inspirantes, et d’en déduire une approche pour faire avancer les entreprises. Nous publierons une étude d'ici la fin de l'année (2022).

Appel à témoignages

Comme première étape, nous lançons un appel à témoignages pour documenter des initiatives de cette nature.

Plus précisément :
1. Des initiatives qui impliquent la coopération entre au moins deux entreprises d’une même chaîne de valeur.
2. Des initiatives menées par des PME-ETI (< 5 000 employés) uniquement. Nous excluons du périmètre de l’étude les actions des grands groupes.

Cet appel à témoignage s'adresse :

Aux entreprises en transition

Si votre entreprise a déjà mené, ou tenté, ce type d’initiative et que vous êtes en capacité d’en parler, nous serions ravis de diffuser votre témoignage.

Aux acteurs du conseil climat

Si vous avez accompagné des clients à mener ce type d’initiative, nous serions ravis de les documenter, de vous créditer et de vous compter parmi les partenaires de l’étude.

Le déroulé de cet épisode