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Cet article aborde le sujet des « émissions financées », en le traitant du point de vue du capital investissement, c’est-à-dire de l’investissement au capital de sociétés non cotées. Pour aller plus loin, inscrivez-vous afin de recevoir notre étude sur les liens entre investissement et décarbonation.
En tant qu’investisseur, votre métier consiste à allouer au mieux le capital qui vous est confié. Grâce à vous, grâce à votre métier, des entreprises peuvent grandir et durer. Du grand pouvoir dont vous disposez découlent de grandes responsabilités : à chaque fois que vous aidez une entreprise à développer ses activités, vous avez une responsabilité indirecte dans les activités en question. Vos décisions ne sont pas que des choix d’allocation, vos décisions ont des effets sur des secteurs tout entiers. En clair, il y a un lien entre vos financements et les émissions de gaz à effet de serre (GES) des entreprises que vous financez.
Comme les activités des entreprises que vous financez génèrent des émissions, vous pouvez vous attribuer une partie de ces émissions — au prorata de votre investissement dans telle ou telle entreprise. Dit autrement, les émissions causées par votre portefeuille d’investissement peuvent se retrouver dans votre propre comptabilité carbone. Quand c’est le cas, on parle alors d’émissions financées. Exemple : si vous détenez 10 % d’une entreprise qui émet 200 tCO2e par an, alors vos émissions financées s’élèvent à 20 tCO2e par an.
Voici comment fonctionne le calcul des émissions financées.
En faisant la somme de vos émissions financées, vous pouvez calculer l’empreinte carbone de votre portefeuille. C’est par exemple ce qu’on fait les trois sociétés de gestion suivantes en 2022 :
Les sociétés de gestion qui modélisent leurs émissions financées le font généralement pour l’une des trois raisons suivantes.
Si nous vivions dans un monde idéal, toutes les entreprises de votre portefeuille feraient leur bilan carbone chaque année. Et si c’était le cas, votre campagne de reporting ESG se bouclerait toute seule ou presque. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal. Votre cas est donc sans doute plus compliqué que ça.
Dans le monde réel, il y a toujours des entreprises qui n’ont pas de données carbone à fournir — pour la simple et bonne raison qu’elles ne les ont pas calculées. Pour combler les trous dans la raquette de votre côté, en tant qu’investisseur, vous devez donc modéliser les données carbones manquantes.
Question : comment estimer des émissions qui ne dépendent pas de vous et dont vous ne savez rien ou presque ? Réponse : en utilisant une méthode de modélisation d’émissions financées. Trois approches permettent de modéliser les émissions de gaz à effet de serre d’une entreprise financée. Voyons en quoi ces approches consistent.
Il s’agit de la technique de modélisation la plus couramment utilisée par les sociétés de gestion. Elle consiste à définir, pour chaque secteur d’activité, l’intensité carbone monétaire moyenne des entreprises du secteur — intensité exprimée en kgCO2e par euro (€) de chiffre d’affaires.
L’approche des proxys sectoriels est une approche couramment utilisée en comptabilité carbone. On la retrouve dans la définition de facteurs d’émissions monétaires. Voici quelques exemples, tirés de la liste des ratios monétaires sectoriels de la base Empreinte de l’ADEME :
Une fois que vous avez trouvé l’intensité carbone monétaire moyenne du secteur qui vous intéresse, multipliez cette intensité par le chiffre d’affaires de l’entreprise que vous étudiez — celle que vous avez en portefeuille. Et voilà. Votre calcul est terminé.
Pour que la méthode des proxys sectoriels soit pertinente, vous devez néanmoins respecter deux conditions :
Au-delà des bases de facteurs d’émissions monétaires en accès libre (Exiobase, Empreinte), il existe de nombreuses bases de données payantes. La plus utilisée par les sociétés de gestion est celle du Carbon Disclosure Project (CDP), qui centralise les bilans carbone de milliers d’entreprises — plus de 23 000. Ces entreprises sont à plus de 90 % des grandes entreprises. Ce point est important, car si vous cherchez à modéliser les émissions d’une startup ou d’une PME, alors les données portant sur des grandes entreprises ne vous éclaireront pas beaucoup. Le profil d’émissions d’une PME régionale d’agroalimentaire n’a pas grand-chose à voir avec celui de Danone ou de Lactalis, par exemple.
Si vous investissez dans des startups ou des PMEs, nous vous déconseillons d’utiliser les données du CDP. Nous vous déconseillons l’approche des proxys sectoriels tout court, pout tout vous dire. Utilisez plutôt l’approche des plus proches voisins.
La méthode des plus proches voisins consiste à extrapoler les émissions d’une entreprise financée en prenant comme référence une entreprise qui lui est proche, ressemblante. Pour que l’approche soit opérante, l’entreprise choisit comme référence devra :
Exemple : si vous cherchez à modéliser les émissions de Renault, vous pouvez vous appuyer sur les émissions déclarées par Peugeot et Citroën. Ces deux entreprises étant « voisines » de Renault, leurs émissions ont de bonnes chances d’être proches de celles du constructeur au losange.
Avec la méthode des plus proches voisins, on identifie des entreprises qui ressemblent aux participations en portefeuille, et on regarde si ces entreprises ont fait leur bilan carbone. Si c’est le cas, on utilise l’intensité carbone des entreprises voisines pour modéliser l’empreinte carbone de la participation examinée. L’intensité carbone sera ici exprimée en tonnes de CO2e par k€ de chiffre d’affaires ou en tonnes de CO2e par ETP.
La méthode des plus proches voisins permet de modéliser les émissions d’entreprises évoluant dans des secteurs très spécifiques, ou de niche, comme la blockchain ou l’imprimerie. Considérés comme exotiques, ces secteurs ne peuvent pas faire l’objet d’une extrapolation à partir de secteurs plus traditionnels.
Pour finir, vous pouvez modéliser vos émissions financées à partir des produits vendus par l’entreprise que vous examinez. Dans cas, vous laissez de côté le chiffre d’affaires et le nombre de salariés.
Prenez une entreprise fictive, VéloCiraptor, qui fabrique des vélos électriques. L’an dernier, VéloCiraptor a fabriqué et vendu 5 000 vélos. En tant qu’investisseur, vous avez accès à ce chiffre. L’empreinte carbone d’un vélo électrique moyen est de 262 kgCO2e. L’empreinte estimée de VéloCiraptor est donc de 5 000 x 262 = 1 310 000 kgCO2e. Voilà.
Sur le papier, c’est très facile, n’est-ce pas ?
Dans la réalité, les calculs sont souvent plus compliqués, car les entreprises qui ne vendent qu’un seul produit sont rares. Surtout, les bases de données environnementales ne sont pas assez exhaustives pour couvrir tous les types de produits qui existent sur la planète. L’approche des plus proches voisins fonctionne donc pour des entreprises ordinaires évoluant dans des secteurs courants, mais elle est inutilisable pour une entreprise de niche qui fabrique des produits de pointe.
Gardez en tête que vous pouvez combiner plusieurs approches pour couvrir toutes les entreprises de votre portefeuille. Vous pouvez par exemple utiliser l’approche des volumes de production sur les entreprises qui s’y prêtent, puis vous orienter vers l’une des deux autres approches pour le reste de vos investissements.
Que vous choisissiez la méthode des proxys sectoriels, celle des plus proches voisins, ou celle des volumes de production, n’oubliez pas que les résultats que vous en tirerez comporteront une marge d’erreur élevée. Voyez-les plutôt comme des ordres de grandeur. Ces indications peuvent néanmoins vous indiquer si l’empreinte carbone annuelle de l’entreprise que vous examinez est plus proche de 100 tCO2e ou de 10 000 tCO2e — ce qui vous donnera de la matière pour la suite.
Pour suivre l’incertitude associée à vos émissions financées, nous vous recommandons d’utiliser le score de qualité de la donnée du référentiel PCAF (Partnership for Carbon Accounting Financials). Ce score se présente sous la forme d’une note allant de 1 à 5 — 1 étant la meilleure note, le signe d’une grande précision, et 5 étant le signe d’une forte incertitude sur les données.
Pour calculer votre score :
Une fois que vous avez votre note sur 5, voici comment l’interpréter. Si vous avez obtenu :
Avec le score du PCAF, vous pourrez appréhender plus facilement l’incertitude associée à la mesure de vos émissions financées. Surtout, vous obtiendrez un indicateur de pilotage sur lequel vous aurez des leviers d’action, comme recommander (ou financer) un bilan carbone à une participation.
Nous venons de voir comment modéliser un chiffre unique, qui correspond aux émissions annuelles de gaz à effet de serre (tCO2e/an) d’une entreprise en portefeuille. Si vous êtes curieux, vous vous demandez probablement s’il est possible d’aller plus loin.
Pourriez-vous, par exemple, modéliser la distribution des émissions d’une entreprise, c’est-à-dire la répartition de ses émissions selon de grandes catégories — achats, déplacements, énergie, etc.) ?
La réponse est oui.
Essayons de modéliser le profil d’émissions d’une entreprise du secteur « fabrication de préparations pharmaceutiques ». À partir des publications de la base BilanGES de l’ADEME, on peut obtenir le graphique suivant.
Ce qui donne le profil d’émissions suivant.
Vous voyez ici que, pour un laboratoire pharmaceutique, les achats de biens et de services constituent la principale source d’émission de GES. À l’inverse, l’énergie utilisée par ces entreprises à une incidence relativement marginale sur leurs émissions.
Répliquez l’exercice sur tous les secteurs d’activité de votre portefeuille d’investissement et vous obtiendrez les profils d’émission de toutes vos participations. Cela vous sera utile pour comprendre les sources d’émissions les plus importantes et en parler aux dirigeants des entreprises concernées, sans attendre qu’ils fassent leur propre bilan carbone.
Cet article vous a plu et vous souhaitez mettre en place des actions au niveau de votre portefeuille d’investissement ? Contactez Adrien, spécialiste des émissions liées aux investissements chez Magelan.